L'Islam de France et le Qatar
Vous venez de publier un ouvrage « L’énigme du Qatar ». Pouvez vous nous expliquer les raisons qui vous ont poussé à publier cet essai?
Son écriture a été motivée par deux raisons principalement. D’abord, j’avais une volonté de mettre à profit mon expérience et mon expertise sur le Qatar, pays dans lequel j’ai commencé à me rendre dès 2004. A l’époque, j’avais bénéficié d’un stage de langue dans le cadre de ma licence d’arabe et de mon cursus à Sciences Po-Aix. En 2006, j’ai validé mon mémoire de Master II consacré aux paradoxes de la politique étrangère de l’émirat. Depuis, je m’y suis rendu à plusieurs reprises dans le cadre de mes travaux universitaires. Ensuite, eu égard à l’incroyable dimension qu’a pris le Qatar dans le débat public français et constatant la pauvreté de la production littéraire sur ce pays, j’ai décidé de me lancer dans l’aventure d’un essai qui puisse donner au public un cadre d’analyse qui satisfasse sa curiosité. Depuis maintenant quelques années, le Qatar suscite de fortes interrogations, inquiète, interroge et interpelle. Le but du livre est donc d’apporter des éléments de réponses à ces légitimes interrogations.
A quoi est due cette « obsession de la reconnaissance » du Qatar que vous évoquez dans votre ouvrage?
Il faut toujours replacer ce pays dans sa dimension géopolitique. Le Qatar fait partie de la catégorie des « micro-États » et la sensation d’une fragilité extrême est exacerbée dans un contexte régional du Golfe caractérisé par une instabilité chronique. Du fait d’une conscience aiguë de cette vulnérabilité, les dirigeants Qataris ont souhaité compenser ces faiblesses intrinsèques par une politique de la visibilité. Pour Doha, il y a un impératif de s’afficher pour exister et tous les leviers sont convoqués pour donner de la substance à cette stratégie : les médias, le sport, la diplomatie et même l’aspect religieux.
Quelle est la part de vérités et de fantasmes sur l’implication du Qatar dans les pays comme le Mali ou la Syrie?
Il faut effectivement faire la part des choses entre ces deux théâtres d’opération. Pour ce qui est du Mali, il n’y a aucune preuve qui étayerait une implication des autorités Qataries au côté des groupuscules jihadistes du Nord-Mali. Même s’il y a eu un engagement d’une ONG humanitaire de l’émirat dans la région de Gao, personne ne peut affirmer que cette présence humanitaire a servi de couverture à un financement direct des groupes armés. D’ailleurs, la DGSE (services extérieurs) tout comme Alain Chouet (ancien responsable des services français) confirment qu’il n’y a aucune preuve de cette collusion. De même, l’intérêt géopolitique du Qatar de venir armer des groupes qui sont en conflit ouvert avec la France est contradictoire avec la volonté de Doha de renforcer son partenariat stratégique avec Paris. Pour toutes ces raisons, je pense que sur cette question, on est davantage dans l’ordre du fantasme que d’une analyse objective des tenants et aboutissements du conflit.
Par contre, sur le terrain syrien, le Qatar appuie directement les forces de l’opposition dont il est l’un des principaux sponsors. Après un début de flottement dans la position de l’émirat, Doha a très vite pris la tête du clan anti-Assad au sein de la Ligue arabe. Ce retournement d’alliance (pendant de nombreuses années, le Qatar et la Syrie partageaient des liens forts) est née de la conjonction de deux facteurs. D’abord, le calcul a très vite été fait du côté de Doha que les dictatures illégitimes issues des indépendance étaient à bout de souffle et qu’il fallait désormais se placer du bon côté de l’histoire. Ensuite, la perception d’un « péril chiite », de plus en plus menaçant, a poussé le Qatar à développer un partenariat stratégique fort avec les poids lourds de la région que sont la Turquie et l’Egypte (avec, mais dans une moindre échelle, l’Arabie saoudite). C’est dans ce cadre de réflexion qu’il faut restituer l’engagement du Qatar qui se traduit sur les plans diplomatique, médiatique et financier. Mais attention à ne pas hypertrophier ce soutien : du fait du « veto » américain sur l’acheminement d’armes sophistiquées à l’opposition, la livraison de matériel militaire qatari à destination de l’opposition reste cantonnée à des équipements légers qui ne permettent pas d’inverser le rapport de forces sur le terrain.
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