Débat sur Mediapart: entre Nabil Ennasri et Karim Sader
Le Qatar est-il un simple sous-traitant des États-Unis ? Quel est son projet politique ? Comment comprendre la relation entre Paris et Doha ? Pourquoi a-t-il fait venir David Beckham au PSG ?Diplômé de sciences politiques à Aix-en-Provence, Nabil Ennasri vient de publier L’Énigme du Qatar (Iris/Armand Colin), premier ouvrage qui tente de résumer le projet du petit émirat si puissant, soumis pourtant à un régime autoritaire qui n’a pas rien à envier aux autres pays de la région. Nous l’avons invité à débattre avec Karim Sader, politologue et consultant sur les pays du golfe Persique, contributeur du dernier numéro de la revue Confluences Méditerranée, intitulé « Qatar : jusqu’où ? ».
Nabil Ennasri, vous faites plusieurs fois référence dans votre livre à un « printemps de Doha ». Or au Qatar, le poète Mohammed Al Alajmi est emprisonné pour « incitation au renversement » et « insulte à l’émir » – sa peine vient d’être réduite à 15 ans par la cour d’appel de Doha. Est-ce vraiment un « printemps »?
Nabil Ennasri. Le « printemps de Doha », si tant est qu’il ait existé, et que je mets d’ailleurs entre guillemets, je le situe à partir de la fin des années 1990 : plusieurs consultations électorales sont alors menées au Qatar, et en 2004, la constitution est adoptée par référendum. Pour la première fois, les femmes ont le droit de voter et sont éligibles. Le Qatar est le premier pays du Golfe à avoir instauré cette ouverture. Il n’en reste pas moins que le régime qatari, à l’image des autres pays du Golfe, reste un régime autoritaire, comme le montre l’emprisonnement du poète. De ce point de vue, le Qatar a de plus en plus de mal à se différencier des pays voisins, puisque l’on voit depuis dix ans, au Koweït notamment, cette volonté de s’arrimer au courant libéral qui traverse le monde arabe.
Cette région est cependant très loin de se hisser au niveau des standards internationaux en termes de droits de l’homme. Reporters sans frontières a classé le Qatar à la 110e position sur près de 180 pays. Pour un pays qui se targue d’être le chantre de la liberté d’expression, notamment via Al Jazira, il y a encore beaucoup d’efforts à fournir.
Karim Sader. Le raisonnement qui consiste à comparer le Qatar avec ses voisins pour minimiser sa part d’autocratie ne me paraît pas pertinent. S’il y a un État dans la région à citer en matière d’avant-gardisme démocratique, c’est le Koweït, premier État à avoir installé une véritable vie parlementaire, avec des élections ouvertes aux femmes. Certes, le Qatar pratique un wahhabisme plus soft que l’Arabie saoudite, mais quand vous avez 220 000 autochtones, votre situation est plus favorable que lorsque vous devez faire face à plusieurs millions d’habitants qui souffrent du manque de redistribution de la manne pétrolière.
Autre facteur important : quand vous êtes coincé entre l’Arabie saoudite et l’Iran, votre première priorité n’est pas la démocratie, c’est la sécurité et le sentiment de fierté nationale. Ils sont fiers de ce que fait l’émir, qui les fait exister sur la scène internationale. Quantité de sondages l’ont montré, notamment en 2011, au plus fort du soulèvement arabe. De la même manière, et je le regrette, la cause du poète ne sensibilise pas beaucoup les Qataris, qui ont très peur de tout élément qui pourrait déstabiliser le pays. Le Qatar n’est pas une démocratie. D’ailleurs, les élections législatives ont été reportées à deux reprises, et on les attend toujours. Il n’y a pas de vie politique qatarie, aux dernières élections municipales, les partis politiques étaient interdits. Et lorsque l’émir a ajourné en 2011 les élections, la presse s’est mobilisée à ses côtés pour justifier sa décision. Il n’y a pas de grande voix dissidente.
Nabil Ennasri. Je suis d’accord avec Karim. Tout de même, une remarque. La condamnation du poète a été couverte par Al Jazira English, qui a invité un activiste des droits de l’homme pour condamner ce procès. De même, lors du premier procès en novembre 2012, Al Jazira arabe cette fois-ci avait donné la parole au représentant syrien à l’ONU, au journal de 13 heures. Il a critiqué le Qatar, qui est pourtant très opposé au régime syrien.
Le Qatar demeure un régime autoritaire, pour une raison simple : quand, dans une démarche clientéliste, on satisfait aux besoins de la population, quand le revenu par habitant est le plus élevé au monde, peu de gens sont motivés pour changer les choses.
L’un des paradoxes de la politique étrangère du Qatar, qui renvoie à la conception de la démocratie du régime, c’est la dichotomie entre la révolution libyenne, largement financée par le Qatar au nom de la liberté, et l’écrasement de la révolte à Bahreïn, où le Qatar est venu en appui de l’Arabie saoudite. Quels sont les ressorts de ce paradoxe ?
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