Survie au Kirghizistan
Un voyage en montagne à l’étranger peut suffire à raviver des réflexes de survie lorsque l’on est habitué à vivre en ville. Le soleil commençait à décliner derrière les crêtes enneigées du massif géant du Tian Shan, qui s’élève à plus de 7.000 mètres et délimite la frontière avec la Chine voisine.
C’était mon premier jour de vélo sur les pistes caillouteuses du Kirghizistan et il était temps de trouver un lieu pour installer à la tente en s’éloignant un peu de la route principale, à l’abri des regards. Le chemin poussiéreux se cabre, il faut se mettre en danseuse et appuyer sur les pédales pour tirer le vélo et les sacoches. Les collines arides qui marquent le piémont de la montagne entourent une vallée ouverte, où s’élèvent quelques fermes au milieu des champs de blé. La tente sera installée dans un creux qui se dessine entre deux monts desséchés.
C’est ma première nuit dehors sur cette terre inconnue où je vais voyager à vélo pendant trois semaines. Le Kirghizistan n’est pas un pays que l’on pourrait qualifier de «dangereux». Les Européens peuvent y voyager sans visa et les touristes –sportifs pour la plupart– sont de plus en plus nombreux à s’y rendre pour explorer les alpages à pied ou à cheval. France Diplomatie précise cependant qu’«il est recommandé de voyager en groupe, accompagné d’un ou plusieurs locaux, et de se tenir à l’écart de tout rassemblement. En raison d’une menace terroriste latente au Kirghizistan, il convient de faire preuve de vigilance, notamment dans les lieux publics et aux abords des bâtiments publics, et de bien suivre les recommandations des autorités locales en matière de sécurité».
C’est aussi le seul Etat d’Asie centrale qui n’est pas une dictature pure et dure, même si l’opposition politique est loin de bénéficier d’une totale liberté et que la minorité ouzbèke, très importante dans la vallée agricole de Ferghana, est régulièrement discriminée par le pouvoir en place sous couvert de lutte anti-terrorisme –environ 500 Kirghizes appartenant souvent à la minorité ouzbèke ont rejoint les rangs de Daech en Syrie et en Irak ces dernières années.
D’après mon guide du Lonely Planet, «la criminalité est faible d’après les standards occidentaux au Kirghizistan». Rassurant. Ce qui l’est un peu moins, ce sont les histoires de paysans dévorés par des loups à quelques dizaines de mètres de leurs yourtes et les voyageurs qui ont la mauvaise surprise de tomber sur des Kirghizes alcoolisés attirés par quelques dollars faciles à dérober. Des mauvaises rencontres hypothétiques qui m’occupent l’esprit à l’heure de dormir dehors, en pleine nature. Heureusement, je ne suis pas seul, je suis parti avec un ami.
La peur de la nuit
À peine ai-je glissé dans mon duvet et la tente fermée que je remarques tous les bruits que je n’entendais pas quelques minutes plus tôt, et notamment les jappements du chien de la ferme la plus proche dont la lumière brille dans l’obscurité. Les branches des arbres voisins secouées par le vent, les 4×4 qui font crisser leurs roues dans la montée qui mène à un hameau isolé. Je m’endors d’un sommeil inquiet. Soudain:
–«T’as entendu?
–C’était quoi?
–Un chien qui a aboyé tout près
–….»
Puis plus rien. Un véhicule s’approche au ralenti, la sono à fond. Des hommes beuglent les paroles d’un tube local. J’ai l’impression que le 4×4 fait des allers-retours sur la piste voisine. Ont-ils vu la tente? Impossible de m’endormir. Puis le silence à nouveau. Les yeux piquent et se ferment.
Une fois réveillé, à la vue du soleil qui éclaire déjà lourdement le paysage, on se sent stupide d’avoir été parano à chaque craquement de brindille dans le noir. Comme si l’instinct de survie qui dormait en moi se réveillait dès le crépuscule, au contact d’une nature brute et d’un pays inconnu. «Quand on vit en milieu urbain, on passe son temps à filtrer des bruits parasites. La nuit dans la nature, on redécouvre d’un coup les sons, on a l’impression que tout fait beaucoup plus de bruit. Quand un chevreuil passe à proximité de votre camp, il fait autant de bruit qu’un camion», confie Alban Cambe, auteur du guide Nature, aventure, survie. Les stagiaires que j’encadre en nature passent souvent deux premières nuits assez mauvaises avant de s’habituer à leur environnement», ajoute t-il.
Je suis tout de même rassuré à la lecture de l’écrivain-voyageur Sylvain Tesson. J’ai emporté dans mon sac le récit de sa chevauchée de 3.000km à dos de cheval à travers l’Asie centrale en 1999, Il écrit, pas tout à fait serein lors d’un bivouac en zone marécageuse:
«Sommeil pénible. Peuplé comme un songe troublant, de bruits non identifiés. Cris d’oiseaux nocturnes, meuglements lointains, froissements de roseaux. Des échassiers secouent la nuit du claquement de leurs ailes. Une clochette tinte, comme un grelot de lépreux, à intervalles réguliers, lointaine d’abord puis se rapprochant, s’éloignant à nouveau. Qui rôde ainsi? Est-ce une chèvre égarée sur la mauvaise rive? Et puis, au milieu de la nuit, jusqu’à l’aube, des hommes s’appellent longuement dans l’obscurité comme s’ils se cherchaient sur les bords du canal. Comme s’ils nous cherchaient?»
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