Qui est Bear Grylls?

Ancien des forces spéciales britanniques et expert en matière de survie, Bear Grylls est de retour sur Discovery Channel le 28 novembre. Rencontre avec ce warrior 3.0.

Bear Grylls mange de tout. Des testicules de bouc. Des yeux de yack. Des larves de termites. Il se fabrique des gourdes en peau de serpent venimeux et boit son propre pipi. Il bivouaque dans des cadavres de chameaux. Bear Grylls, c’est le Castor Junior hardcore de l’émission « Man vs. Wild » ( » Seul face à la nature  » en VF), un show survivaliste de Discovery Channel lancé en 2006 et devenu phénomène de société.

L’émission est suivie partout dans le monde. On y voit notre aventurier tête brûlée se faire parachuter dans les régions les plus hostiles du monde (toundra sibérienne, forêt amazonienne ou cercle polaire…). Là, armé de son couteau (sponsorisé), Bear doit affronter les éléments déchaînés devant les caméras de télé. Et avec le sourire.

 » Bear, c’est quoi votre problème ? La vie vous ennuie ? « , lui demande-t-on lorsqu’on le rencontre à Londres il y a quelques mois. Bronzé et musclé comme un membre du Club Med Gym, il a troqué son treillis pour un jean et une veste et sirote un thé Earl Grey.  » Je n’ai aucun problème !, nous répond-il de son plus beau sourire. On n’a qu’une vie, et j’essaie juste de la vivre à fond. Je ne fais pas tout ça pour me prouver que je suis vivant.

La mort, je l’ai vue en face et franchement, ça m’a suffi. Je suis un mec normal, je fais mon job comme n’importe qui.  » Survivre est en effet un jeu d’enfant pour cet ancien soldat des forces spéciales britanniques, ceinture noire de karaté, qui collectionne les records. En 1998, Bear est, à 23 ans, le plus jeune alpiniste à gravir la face sud-est de l’Everest. Le tout en 90 jours et ce malgré une grave chute qui a failli lui ôter la vie. Deux ans plus tôt en Afrique, un autre accident quasi fatal en parachute lui avait coûté trois vertèbres brisées et dix-huit mois de convalescence.

Chute libre, escalade, navigation extrême : rien n’arrête le guerrier Bear, qui peut se vanter d’avoir traversé l’Atlantique Nord, sans assistance, sur une simple embarcation gonflable. Dans  » Man vs. Wild « , notre kamikaze nous enseignait comment construire un radeau de survie, faire du feu avec des cailloux ou soigner une morsure de serpent avec des plantes médicinales. Autant de précieuses techniques transmises par un Bear suant sang et eau à des téléspectateurs qui, c’est prouvé, ont statistiquement plus de chances de se faire écraser en traversant la route pour aller acheter une baguette, que de frôler la mort lors d’un trek dans une jungle indonésienne.

Si  » Man vs. Wild  » marchait si bien, c’est évidemment parce que notre époque n’a jamais été autant travaillée par la fin de l’humanité. Le cinéma hollywoodien, les séries post 11-Septembre (Lost), la littérature et évidemment la télé ( » Koh-Lanta « ) ne parlent que de ça. Quand l’heure du Jugement Dernier aura sonné (ou que la climatisation sera en panne dans vos bureaux surchauffés de Boulogne–Billancourt), seuls survivront ceux qui sont le mieux armés, semble nous dire Bear Grylls.

Loin de la folie de ses aventures télévisuelles, l’homme semble avoir la tête sur les épaules, aussi concentré et décontracté en conférence de presse que face à un cobra royal. À Londres, les journalistes du monde entier se bousculent devant la porte de notre héros, encore plus fébriles que s’ils allaient rencontrer Brad Pitt. Bon prince, Bear offrira livres dédicacés et photos à tout le monde. Le légionnaire excité du show a laissé la place à un pro de l’interview chronométrée (9 minutes 29, pas une seconde plus).

Il confie :  » Les gens aiment mon émission car ils veulent me voir souffrir à leur place «  ;  » La survie, c’est comme un plaquage au rugby : si tu ne te donnes pas à 100 %, c’est là que tu te blesses.  » Ou encore :  » J’ai parcouru le globe, mais il me faudrait encore dix vies pour tout voir, et honnêtement ce que je préfère, c’est être chez moi avec ma femme et mes trois enfants.  »

 

La fascination qu’exerce Bear Grylls sur les foules est inédite. Les hommes s’identifient à ce néo-Indiana Jones en parka North Face. Les femmes voient en lui une sorte de sex-symbol pré–apocalyptique. Notre héros ne boit pas, ne fume pas, et s’entraîne six jours sur sept en cardio-musculation, dévalant le relief accidenté de l’île au nord du pays de Galles sur laquelle il habite (lorsqu’il n’est pas sur sa péniche amarrée sur la Tamise).

Depuis son plus jeune âge, Bear est programmé pour être le meilleur. Né en juin 1974 dans une famille privilégiée, le garçon est très tôt initié à l’escalade et à la navigation par son père, Michael, ex-commando de marine de sa Majesté (député conservateur, il fut anobli par la reine, et décédera en 2001).

Il raconte que sa mère, lady Sarah Grylls, effondrée par son goût du risque, l’enfermait régulièrement dans sa chambre (d’où il s’échappait en crochetant la serrure grâce à un cintre). À 11 ans, il tente avec un copain une traversée à marée basse d’un port de l’île de Wight, où il a grandi. Embourbés, ils seront sauvés de justesse. Élevé à la dure par un père sévère et habitué des fessées en public, Edward Michael Grylls (surnommé  » bear  » ou ours par sa sœur) sera envoyé à Eton, prestigieuse école pour aristocrates. Là, il côtoiera les puissants, peaufinera ses réseaux.

Et escaladera le toit de la bibliothèque en pleine nuit (ses initiales y sont toujours gravées) avant de rejoindre en 1997 les Forces spéciales britanniques. Quand on lui demande, droit dans les yeux, s’il a déjà tué quelqu’un, il botte en touche. Tout ce que l’on saura, c’est qu’il a servi en Afrique du Nord, qu’il sait se battre à mains nues, sauter en parachute en pleine nuit, et que certains de ses camarades sont actuellement déployés en -Afghanistan.

Fan de yoga, Bear est aussi un bon époux, marié depuis plus de dix ans à la même femme, Shara, une élégante blonde qui lui a donné trois fils, Jesse, Marmaduke et Huckleberry. Gendre idéal, Bear est aussi un fervent chrétien, membre actif du  » Parcours Alpha « , un mouvement d’obédience anglicane qui propose des dîners pour  » échanger sur Dieu et sur les questions du sens de la vie « . L’homme donne même des conférences sur le sujet dans des églises…

Lorsqu’on le questionne sur ce profil inédit mix mi-soldat, mi-curé, Grylls en parle volontiers :  » Ma foi m’a permis d’endurer toutes les épreuves que j’ai traversées.  » La confession nous émeut. Le soir même, nous le retrouvons sur un tapis rouge pour une soirée organisée en son honneur. Dans la foule de fans, des centaines de scouts, transis de bonheur (depuis 2009, l’ex-soldat est aussi chef de l’association britannique de scoutisme). Notre télévangéliste de la survie a un sourire et une anecdote pour chacun ( » Une fois, j’étais avec ma femme dans un hôtel, et la salle de bain était envahie de fourmis. Je suis allé me plaindre à la réception, et là le mec me reconnaît et me dit : “Dites donc, ne faites pas le difficile, d’habitude vous les mangez, vous, les fourmis !” « ).

Après enquête, nous n’avons trouvé qu’un défaut au gentil Bear : des Gipsy Kings à Katie Melua en passant par Greystoke ou Forrest Gump, il a des goûts culturels stéréotypés. Et qui collent peu avec ce visage de dur à cuire, dont on a bien du mal à percer les émotions. On essaie de le questionner sur les mécanismes spectaculaires de l’émission, déclinée depuis en  » Seul face à la ville  » dans laquelle Bear Grylls expose ses différentes techniques de survie face aux catastrophes naturelles, aux agressions, aux accidents et aux violences urbaines.

Il raconte :  » Nous ne sommes que quatre ou cinq, je travaille avec les meilleurs caméramen, parfois des anciens des Forces spéciales. Toujours des potes. Évidemment, nous préparons les émissions. L’équipe technique part une semaine avant moi pour les repérages, pour rencontrer les habitants et apprendre des techniques locales de survie.

 » Et les rumeurs de trucage ?  » Oui je suis filmé, mais le show est réalisé dans des conditions quasi réelles. On ne fait pratiquement jamais de deuxième prise. Contrairement à ce qui a pu être dit, je ne dors pas dans des palaces, mais plutôt dans des tentes ou des petits hôtels du coin pendant le tournage. Sauf pour les scènes de bivouac, évidemment. Il y aura toujours des gens pour critiquer, mais je crois faire mon boulot honnêtement.  » On m’a parlé de barres chocolatées que s’enfileraient les techniciens pendant que vous mangez des cloportes, c’est vrai ?  » Ah oui, ça, c’est vrai, les salauds !  » Dans la saison 6 de  » Man vs. Wild « , Bear affronte la terrible jungle de Bornéo, mais part aussi en expédition en Islande avec l’acteur Jake Gyllenhaal (après Will Ferrell en Suède en 2009, l’un des meilleurs épisodes). Car Hollywood fait évidemment de l’œil à notre survivor (il a refusé un rôle dans Le choc des Titans). Les publicitaires aussi (il a sa propre appli iPhone).

Et lorsqu’on lui demande s’il gagne beaucoup d’argent grâce aux contrats (couteaux de survie Gerber, boissons pour Schweppes, 4X4 pour Nissan, déodorants…), il élude la question. On persiste : Bear Grylls serait-il devenu une marque ? Il sourit :  » Bear Grylls est une personne, Bear Grylls est un père de famille et Bear Grylls est un fou d’aventure « . La messe est dite.
Source: gqmagazine