Piolets d’or: Alpinisme
La crème mondiale des grimpeurs de l’extrême était à Chamonix à l’occasion des 20es Piolets d’or. Voici des people qui ne figurent dans aucun magazine à sensations. Loin des strass, des paillettes et des paparazzi, leurs exploits ne font rêver qu’un cénacle d’initiés et n’offrent à contempler que des visages desquamés et barbus, qu’une vieille croûte de crème solaire sur le nez vient titiller. Et lorsqu’il arrive que ces vertical-globe-trotteurs fassent la une des journaux, c’est le plus souvent qu’une tragédie meurtrière s’est produite.
En mars dernier, ils étaient à l’honneur pour les Piolets d’or, les « césars » de l’alpinisme, qui, chaque année, récompensent les ascensions les plus audacieuses et aventureuses. La sélection est drastique. Sur les 88 « premières » réussies en 2011, le jury n’en a retenu que 6, censées témoigner de l’excellence des 15 alpinistes sélectionnés. Aucune expédition française en lice, cette année, mais deux équipes slovènes qui témoignent de la vitalité de l’alpinisme de haut niveau dans ce pays.
Style, élégance et légèreté
Les Piolets d’or défendent un alpinisme « pur et innovant ». Dans ce club très fermé, les bêtes de cirque logotisées sont regardées de travers et les faux records ne franchissent pas la porte du temple. « C’est le style qui prime, il ne suffit pas d’ouvrir une voie », martèle Christian Trommsdorff, président des Piolets. Il y a dix ans, ce caractère bien trempé a plaqué sa vie d’ingénieur pour devenir guide de haute montagne. Avec une bonne vingtaine d’expéditions en milieu hostile, c’est un ardent défenseur du style alpin, de l’engagement absolu et de l’autonomie complète. Comprendre : on n’est pas chez les Bisounours. Petit nerveux aux yeux bleus, Denis Urubko est un caïd des cimes. La montagne, son ardoise magique. Avec sa maison sur le dos, il fouille les flancs les plus secrets pour y tracer avec son corps les plus belles lignes, inaccessibles à l’alpiniste lambda. Il y a deux ans, cet alpiniste entrait au panthéon des vainqueurs des 14 plus hauts sommets de plus de 8 000 mètres. Sans oxygène, il a gravi le K2 par la difficile voie japonaise de la face nord, réalisé la première hivernale du Makalu et ouvert trois nouvelles voies. L’une d’elles, un concentré de difficultés monumentales, dans la face sud-est du Cho Oyu (8304 mètres) en Chine, lui valut un Piolet d’or en 2010. Spécialistes des hivernales, l’himalayiste kazakh fait partie de cette génération d’alpinistes très engagés qui s’aventurent là où leurs compères européens n’osent pas aller. Le plus souvent sans téléphone satellite, pour souci de légèreté, sur des terrains ponctués de forteresses rocheuses et où la neige fraîche vient souvent pimenter la difficulté. « Ils ne sont pas forts, ils sont dingues, résume un observateur. La culture de la conquête coule dans leurs veines. » Pour Denis, cette quête de l’extrême est normale, intimement liée à sa vie, celle d’un gamin des rues de l’époque soviétique que l’alpinisme a fait sortir par le haut. « J’aurais pu finir clochard. Dans mon métier, je dois progresser tout le temps, il faut être le meilleur », dit-il, sur un ton qui ne tolère aucune critique.
Nomade des cimes
Ce culte de l’excellence et de la volonté de se surpasser, il l’enseigne à ses élèves qu’il emmène sur le terrain. C’est d’ailleurs en compagnie de son stagiaire, Gennady Durov, un petit rondouillard pêchu, qu’il réalise l’ascension du pic Pobeda, nominée aux Piolets d’or. Sa vie est celle d’un vagabond des cimes. « Tu connais Diogène ? C’est moi, clame-t-il en tapant la paume de sa main contre sa poitrine .Je vis entre l’Italie, le Kazakhstan et la Russie. Mes sponsors financent mes expéditions. Pour le reste, je me débrouille. » Comme les cyniques grecs, Denis se sent plus riche que tous les propriétaires de la planète, car la nature est son domaine. Attaché à peu de choses, mais à l’essentiel, il ne semble manquer de rien. La pente est raide, mais la vie est belle et il y a toujours des points blancs sur la carte. Aujourd’hui, « il y a dans le monde plus de hautes montagnes à découvrir encore que de cimes déjà conquises », commente Doug Scott, légende vivante de l’alpinisme d’aventure. C’est le premier Anglais à gravir l’Everest en 1975, par une remarquable première dans la face sud-ouest.