Des militaires français au Groënland

Non pas survivre mais maîtriser le grand froid. Ils seront douze à partir trois semaines au Groënland, en mars, pour donner à l’armée française des clés pour agir, y compris combattre, dans un Grand Nord chaque jour plus stratégique.

Depuis début janvier et pour deux mois, le Groupe militaire de haute montagne (GMHM), l’élite de l’alpinisme militaire tricolore, prépare des membres du Groupement de commandos de montagne (GCM) pour une aventure ultime: vivre en autonomie dans le froid extrême et y parcourir 300 kilomètres avec une logistique minimaliste.

Car l’Arctique est une zone très convoitée. « De nouvelles routes de navigation sont rendues praticables par le recul de la couverture glacière« , constate le ministère des Armées dans un récent document consacré au sujet. « Selon l’United States Geological Survey (2008), 30% des réserves de gaz et 20% des réserves de pétrole non encore découvertes dans le monde y seraient localisées« .

L’équipe n’a donc rien d’une bande de pieds nickelés. Des athlètes de haut niveau, excellents alpinistes, dont certains affichent une solide expérience au combat. Ils reviendront avec des données précieuses pour l’armée de Terre. Du vécu, un avis sur la nourriture lyophilisée, une expérience sur les réactions physiologiques des femmes, qui y partent pour la première fois. Les limites, chez ces gens-là, sont faites pour être repoussées.

– « Durs à l’effort » – 

Au Groënland, ils essaieront des kites, voiles utilisées à la façon d’un cerf-volant pour profiter à ski de la force du vent. Et aller jusqu’à six fois plus vite qu’à pied.

En attendant, ce jour-là, il suffit de monter deux heures en skis peaux de phoques pour atteindre un plateau enneigé face au mont Blanc. Le groupe, en treillis crème, monte un bivouac sur des consignes parfois très théoriques, dans l’atmosphère lénifiante du soleil alpin, à -5 degrés.

« On n’installe pas les tentes en cercle. Si un ours se retrouve au milieu, il va vouloir sortir et fera du dégât« , prévient le capitaine Didier Jourdain, chef de l’expédition conjointe GMHM/GCM au Groënland.

Guide de haute montagne, cet ingénieur de 41 ans au physique de coureur de fond enchaîne depuis 15 ans les expéditions de haut vol au sein du GMHM. Il connaît le Groënland et égrène les conseils simples: s’habituer à travailler avec les gants, ne pas perdre les tentes en cas de tempête, ménager son dos.

Il veille aussi sur les faiblesses potentielles. A -30 degrés, une ampoule ou une baisse de motivation sont potentiellement catastrophiques. Cacher une faiblesse, c’est générer du danger.

« On a choisi des durs à l’effort. Et là, on est dans un huis clos. Ce qui arrive à l’un arrive à tout le monde« , explique-t-il à l’AFP. Alors tout est calculé. Ne pas transpirer: c’est de l’humidité ingérable. S’alimenter, dormir : c’est durer. Un retard au départ le matin : c’est faire attendre les autres dans le froid.

– La mort, « hypothèse de travail » – 

La présence de deux femmes constitue une nouveauté. « C’est dans l’air du temps de mettre des féminines un petit peu partout« , constate chef Marjorie (les noms de famille des commandos sont confidentiels). « Il faut des précurseurs pour dire que c’est faisable, pour que l’engrenage se mette en place« .

« J’ai déjà vécu des conditions limites uniquement avec des hommes« , relativise la sergent-chef Isabelle, qui a servi en Centrafrique et en Afghanistan. « Les mecs entre eux jouent un peu au dur« , rigole-t-elle. « Même si nous, les femmes qui faisons ce genre de choix, sommes aussi un peu comme ça« .

Dans les pulkas (traîneaux) qui, dans le Grand Nord, pèseront jusqu’à 90 kilos, pas d’arme. Le lien est encore lointain entre la guerre et le blanc étincelant alentour. Mais la finalité est bien militaire : l’enjeu est de savoir se battre dans l’extrême.

De fait, montagne et guerre ont des points de convergence, souligne le chef de bataillon Jacques-Olivier Chevallier, adjoint du GMHM, évoquant « la gestion du stress, du danger qu’on peut réduire sans le maîtriser totalement« .

Un membre de ce groupe d’élite s’est tué en dévissant en novembre, avec un guide de Chamonix. « Ca nous a évidemment tous secoués« , souffle-t-il. Mais « on sait qu’on fait un métier sur le fil, où la mort fait partie des hypothèses de travail« .

Et l’enjeu est majeur. Américains, Russes, Chinois convoitent les zones de grand froid. Avec des partenaires comme le Canada et la Norvège, l’armée française « essaye de monter en gamme dans ce milieu-là« , fait valoir le colonel Jacques Roussel, chef de corps de l’École militaire de haute montagne.

Et ce, même si la majorité du contingent en opérations extérieures est dans le grand chaud. « La France est présente depuis longtemps en Afrique et on connaît ça très bien. On n’a jamais déployé autant d’hommes dans le grand froid. On a encore des choses à apprendre« .

Source: Lexpress