« L’ombre du vent » de Carlos Ruiz Zafon Ou le parfum magique d’un livre porteur de toutes les promesses.
Dans la Barcelone de l’après guerre civile, Carlos Ruiz Zafon croque, crayonne la vie de créatures façonnées par leurs extravagances, leurs rêves chimériques et absurdes. Il exhibe des vies prodigieuses, des destinés anoblies par des cœurs purs et des âmes généreuses, des vies maculées d’adversité et de disgrâce. Ses héros sont des êtres dont la destinée est suspendue à l’existence d’un roman, celui que le narrateur, Daniel, a choisi dans le Cimetière des Livres Oubliés, lieu mystérieux connu seulement des initiés où un matin, à l’aube, son père le mène pour perpétuer la tradition qui veut que tout nouveau visiteur y adopte un livre afin de le sauver de l’oubli. Pour Daniel, ce sera « L’Ombre du vent » de Julian Carax. Ce livre, écrit par un parfait inconnu amorce une profonde altération, une cascade de changements insolites dans la vie de tous les personnages. L’apparition puis l’évocation de cet ouvrage déclenche une rocambolesque épopée menant Daniel et ses acolytes dans un tourbillon d’incidents dont l’ampleur va croissante jusqu’au cataclysme. L’ombre du vent, c’est un manifeste pour les livres, Le livre comme objet qui se palpe et dont la texture si douce sous nos doigts gourds ramène à la vie les fantômes charmants qui émaillèrent nos vies. Carloz Ruiz Zafon fait également l’éloge du lecteur militant qui, lors de périodes de contestation, n’a cure de la préséance et des passes droits des hommes et femmes de pouvoir et qui se bat avec ardeur contre la censure et la haine qu’inspire l’éventaire de la vérité. Le livre, c’est une histoire mais c’est aussi et surtout l’émissaire de la connaissance qui éveille la conscience et mène à la compréhension et au discernement et qui y a-t-il de plus menaçant pour de virtuoses leaders au pouvoir incontesté que l’érudition de leurs adversaires ? Mieux vaut les laisser dans l’ignorance et l’inaptitude à objecter, La paix des tyrans, des dictateurs et autres types d’oppresseurs passe par l’ignorance de leurs compatriotes. Il est nécessaire de les empêcher d’entrevoir les boniments dissimulés sous le verbiage verveux mais malhonnête et perfide proclamé pour dissimuler la cruelle vérité. L’Ombre du vent est une œuvre magnifique et attachante. C’est un tableau historique, un roman d’apprentissage évoquant les émois de l’adolescence, un récit fantastique dans la pure tradition du Fantôme de l’Opéra, et dans cette énigme où les mystères s’emboîtent comme des poupées russes, Carlos Ruiz Zafon mêle inextricablement la littérature et la vie. Marie Chatelain