Les records de l’Everest

La marque Samsung se fait fort d’avoir envoyé le premier tweet (message internet) à 8 848 m et deux Britanniques vantent les mérites du viagra, la pilule bleue permettant d’absorber davantage d’oxygène. En ce printemps, il s’en passe encore de belles sur le toit du monde, entre Tibet et Népal, dont le processus de désacralisation est enclenché. L’an dernier, un gourou a passé 32 heures à méditer au sommet là où l’homme ne peut s’autoriser que des incursions, le corps se dégradant d’heure en heure.

Dans ce grand barnum émergent quelques performances. Apa Sherpa, 51 ans, a gravi la cime pour la 21 e fois en 21 ans. Le Suisse Ueli Steck, l’homme des contre-la-montre dans les faces nord des Alpes, a transposé sa vélocité sur les géants himalayens. Après avoir gravi le Shishapangma (8 046 m) en 10 h 30 pour 2 000 m d’ascension, puis le Cho Oyu (8 201 m), il était ces jours-ci au pied de l’Everest pour une tentative ultrarapide en style alpin, léger. Sa théorie : moins on passe de temps en altitude, moins on court de risques. Las, il a capitulé à 100 m du but. Un Haut-Alpin deux fois plus rapide

La rapidité, c’était le credo du guide haut-alpin de Chantemerle, Sébastien Rougegré. Là où les expéditions classiques passent deux mois, lui a mené son affaire en 25 jours aller-retour depuis Londres, avec l’Anglais Kent Cool. “On est monté deux fois plus vite que les autres au camp de base. On a eu un peu mal à la tête à 6000, mais après on était super bien. On s’est aperçu qu’en allant plus vite, on gagnait en temps de repos, on s’exposait moins au froid, au soleil et on évitait la foule.” Peut-être une nouvelle théorie d’approche et d’acclimatation. Ils étaient les premiers au sommet début mai derrière les sherpas du Néo-zélandais Ruseel Brice qui fixaient les cordes sur la voie népalaise. Côté Tibet, dès que la royale fut équipée, c’était l’embouteillage au premier créneau météo. “Au Népal c’est bien organisé, propre et puis ça fait vivre toute la vallée du Khumbu, nuance Sébastien. Le seul truc gênant, c’est que si t’es pauvre tu peux pas y aller. A 10 000 dollars le permis et 80 dollars par jour de taxe…”

Déjà 428 personnes ont atteint la cime depuis fin avril, quatre ont perdu la vie. Parmi ces victimes, un ancien ministre népalais de 82 ans qui tentait de battre le record des “vétérans”. Gravir l’Everest n’est plus un exploit tant les classiques sont balisées, les “8 000istes”, assistés d’un sherpa par personne, se hissant au moyen de poignées jumar le long du fil d’Ariane de 10 km installé. Un citoyen lambda peut s’offrir l’Everest avec une expédition commerciale pour 40 000 €. Le prix de la vanité pour des touristes davantage mus par la soif de reconnaissance que par un intérêt alpinistique. Cinq corps redescendus

Mais au-delà de la faible difficulté technique, si les paramètres se dérèglent, l’aventure reprend ses droits. La plupart des summiters recourent aux bouteilles d’oxygène pour surmonter l’épreuve au-delà de 8 000 m, là où l’air est raréfié et les capacités réduites à 20 %.

Ce printemps, une expédition de nettoyage a ramené 2,5 tonnes de déchets et cinq corps dont la dépouille de Scott Fisher, guide américain qui encadrait l’expédition dramatique de 1996. Cette année-là, l’illusion de facilité vendue sur catalogue par les agences avait mené à la mort huit personnes, dans la tempête. Un drame qui avait inspiré à Jon Krakauer, auteur du roman Into the Wild, un best-seller édifiant : Tragédie à l’Everest.

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