La montagne et le réchauffement climatique
Les guides de montagne étaient réunis à Nice pour des Assises de la sécurité en montagne inédites après une année 2018 particulièrement dramatique. Ils ont débattu sans fard vendredi des moyens de réduire le risque d’accidents, plus nombreux en France qu’ailleurs, accru désormais par le réchauffement climatique.
David Ravanel, guide à Chamonix, n’en revient toujours pas : il a vécu un été inédit avec des guides contraints à l’inactivité en plein mois d’août et des itinéraires classiques, comme le Couloir du Goûter conduisant au Mont-Blanc, rendus impraticables par les chutes de pierre à répétition. « Beaucoup de course ne sont plus faisables, l’été principalement. Mais l’hiver, le fait qu’il y ait globalement moins de neige est aussi source de danger car l’activité va se concentrer à des moments précis et la saison sera moins étalée », redoute-t-il.
« Avec 800 écroulements, c’est presqu’un miracle qu’on n’ait pas eu plus d’accidents cet été », estime aussi le géographe Ludovic Ravanel, chercheur CNRS à l’université de Savoie, parmi la vingtaine d’intervenants venus à Nice porter la bonne parole à une centaine de guides de montagne rassemblés par leur syndicat national, le SNGM. « Comme les glaciers reculent, les parois se déstabilisent », souligne-t-il. Le réchauffement des températures, deux à trois fois plus rapide dans les zones de montagne qu’à l’échelle planétaire, n’est cependant pas à l’origine de tous les risques.
« Il ne faut pas se cacher derrière notre petit doigt et imputer au climat des accidents qui relèvent de nos pratiques », avoue l’alpiniste Erik Decamp, l’un des animateurs de cette journée sécurité destinée en premier lieu à lever le voile sur les failles du milieu français des guides.
Tabou sur les causes d’accidents
Culture de l’exploit sportif, tabou sur les causes d’accidents: plusieurs guides ont témoigné tandis que des intervenants extérieurs à la profession n’ont pas hésité à prendre les guides présents à rebrousse-poil. « N’est-il pas temps que votre profession remette en cause la liberté complète de l’activité en montagne et de fixer une forme de réglementation ? », a interrogé le procureur de Gap Raphaël Balland. « Ce que j’aimerais voir chez vous c’est l’objectif zéro accident ! », a sermonné Marc Givry, architecte grenoblois spécialiste du risque d’avalanches.
Alain Duclos, ancien guide et aujourd’hui expert en avalanches auprès des tribunaux, a, lui, raconté comment après un accident en 1994, il a, à l’époque, reçu comme consigne de se taire : « Je n’ai pas raconté, j’ai été condamné, on est resté sur des rumeurs et aucune leçon n’a été tirée ». « Depuis deux ans, on voit bien qu’on ne peut pas continuer comme ça », explique Christian Jacquier, président du SNGM, décidé à faire bouger ses collègues, sous la pression des assureurs et des juges.
Une année 2018 meurtrière
L’année 2018 a déjà fait 17 morts parmi des groupes accompagnés d’un guide. Sur la dernière décennie, les guides français ont enregistré cinq fois plus de décès que leurs collègues suisses. Un plan d’actions a été adopté vendredi pour développer une culture du retour d’expérience et un partage en temps réel des informations, massif par massif, et pour jeter les bases d’une autorégulation du métier, via des messages d’alerte ou des outils de prise de décision.
« Depuis un mois, l’innovation, c’est que tous les guides peuvent reporter un événement indésirable sur leur smartphone et ça va sur une base de données, de manière anonyme ou pas », indique M. Jacquier. Le syndicat prévoit aussi un jour de formation continue par an, qui serait à terme obligatoire et le recours à des formateurs venus de secteurs variés capables de parler de la gestion des risques dans leurs métiers (médical, aéronautique, industrie) ou d’autres thèmes comme la relation aux clients.
La réflexion est également engagée sur l’intérêt ou non de transformer le syndicat, qui représente les 1.700 guides français, en un ordre professionnel, à l’instar d’autres professions libérales comme les médecins, ou d’autres pays alpins.
Lequipe avec AFP