K2 au Pakistan : et si on parlait des porteurs ?

L’alpiniste Fazal Ali est le seul homme au monde à avoir atteint trois fois la cime du K2, deuxième plus haut sommet de la planète. Mais cet exploit est passé largement inaperçu, à l’instar de ceux de nombreux montagnards d’élite pakistanais. Ils s’estiment souvent oubliés et mal considérés par les alpinistes étrangers.

Le K2, situé au Pakistan, est légèrement moins élevé (8.611 m) que l’Everest (8.848 m) mais son extrême difficulté lui vaut le surnom de « montagne sauvage ». Des dizaines d’alpinistes ont perdu la vie sur ses immenses flancs glacés. Fazal Ali, 40 ans, l’a conquis trois fois: en 2014, 2017 et juillet 2018, et « toujours sans oxygène supplémentaire. Il est le seul alpiniste à avoir réalisé un tel exploit », confirme à l’AFP Eberhard Jurgalski, consultant auprès du Guinness World Records.

Malgré cela, M. Ali ne s’attend pas à passer à la postérité. « Je suis heureux mais j’ai aussi le coeur brisé car mon exploit ne sera jamais reconnu à sa valeur », déclare-t-il à l’AFP. De fait, il est passé jusqu’ici très inaperçu, y compris dans la communauté des alpinistes, tandis que ses compagnons de cordée étrangers venus de Corée du Sud et du Japon ont été couverts de louanges.

Discrets mais indispensables
Fazal Ali est l’un des nombreux porteurs de haute altitude, discrets mais indispensables, participant aux expéditions étrangères qui fréquentent le nord du Pakistan, une zone reculée qui abrite trois des plus hautes chaînes de montagnes du monde, l’Himalaya, le Karakoram et l’Hindu Kush. Choisis pour leur endurance et leur connaissance de ce terrain extrêmement difficile, les porteurs tracent la route que vont emprunter les grimpeurs étrangers et fixent des cordes facilitant l’ascension. Ils transportent à dos d’homme la nourriture et le matériel, font la cuisine et dressent leurs tentes.

« Elle nous a ordonné de la prendre en photo et de rester à l’écart »
Ils s’estiment souvent oubliés lorsque les alpinistes étrangers repartent dans leurs pays. « Lorsqu’ils arrivent, ils sont pleins de bonne volonté, font plein de promesses… Mais une fois leurs objectifs atteints, ils oublient tout », regrette M. Ali. Un incident en particulier lui a laissé un goût amer : arrivé en haut du K2 avec une alpiniste occidentale, il s’est vu intimer de la prendre en photo, drapeau en main, seule. « Elle nous a ordonné de la prendre en photo et de rester à l’écart », relate-t-il. L’épisode a donné lieu à une dispute entre la grimpeuse et un sherpa népalais également présent.

Nombre de porteurs pakistanais s’estiment aussi moins bien traités que leurs homologues népalais. Ces derniers sont rétribués 100 dollars par jour quand les Pakistanais disent ne percevoir que 30 à 40 dollars pour le même travail, voire moins. En cas d’accident, ils n’ont guère de chance de bénéficier d’une évacuation par hélicoptère. Et l’assurance-vie qui les couvre est nettement inférieure à celle des sherpas népalais.

Une rancoeur partagée
Fazal Ali, comme nombre de ses collègues, est né dans la vallée reculée de Shimshal, à l’extrémité nord du Pakistan, près de la frontière chinoise. Son village d’altitude, qui ne compte que 140 familles, a vu grandir plusieurs grands alpinistes dont Rajab Shah, le premier Pakistanais à avoir escaladé les cinq sommets du pays faisant plus de 8.000 mètres d’altitude, ou Samina Baig, la première Pakistanaise à avoir conquis l’Everest.

Jadis, Shimshal servait d’exil pour les indésirables bannis de l’Etat princier voisin de Hunza. La vie dans cette vallée encaissée et quasi inaccessible, la seule route la reliant au pays n’a été construite qu’il y a une dizaine d’années, était très difficile. Rehmatullah Baig, qui a conquis le K2 en 2014 et participé à la prise des mesures géographiques les plus précises à ce jour et à l’installation d’une station météorologique à près de 5.000 mètres d’altitude, partage la rancoeur de M. Ali. « Je devrais être heureux mais je ne le suis pas, dit-il. Si j’étais reconnu, si les montagnards de (la province du) Gilgit-Baltistan ou du Pakistan étaient reconnus, ou s’ils bénéficiaient d’un peu d’aide financière, ils graviraient tous les 8.000 m du monde ».

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