Les femmes et la haute montagne

Jusqu’à peu, des stéréotypes circulaient sur le fait que les femmes n’étaient pas considérées comme aptes à pratiquer des sports physiques, dont l’alpinisme.

Les sportifs de haut niveau présentent une égalité des genres de l’ordre de 36 %*, c’est 2 % de femmes en plus qu’il y a dix ans. Une évolution certes discrète mais visible depuis 2005, notamment dans certains sports collectifs comme le football. L’excellence sportive s’exprime également en dehors du cadre de la compétition, notamment dans le cas de l’alpinisme, discipline qui vise l’ascension des montagnes. Pendant plus de 20 ans, moins de 1 % des femmes étaient guides de haute montagne donc alpinistes professionnels, et il semblerait qu’aucune femme alpiniste n’ait participé à la conquête d’un sommet.

Pourtant en 2017, les choses changent et l’ordre établi est bousculé puisque 6 femmes deviennent guides sur une promotion de 50. Pourquoi ? Quelles sont, a priori, les motivations qui ont permis à ces femmes de se constituer un goût pour l’alpinisme ? Et quels sont les effets de l’investissement dans un monde d’hommes sur l’identité des femmes ?**

L’essor de l’alpinisme a lieu au XIXe siècle, où les premiers sommets alpins sont gravis. Conquérir le plus de montagnes possible devient un enjeu de pouvoir international entre les Anglais, Allemands, Autrichiens, Suisses, Français et Italiens (au masculin). Seulement quelques femmes se démarquent, comme Marie Paradis, qui en 1808 devient la première femme à atteindre le sommet du Mont-Blanc, ou Lucy Walker, qui arrive au sommet du Cervin en 1876. Pourtant si une femme arrive en haut d’une montagne, c’est que cela ne doit pas être si difficile…

Jusqu’à peu, des stéréotypes circulaient sur le fait que les femmes n’étaient pas considérées comme aptes à pratiquer des sports physiques. On disait qu’elles étaient trop faibles et que c’était nocif pour leur santé. Les femmes qui s’opposent ainsi aux préjugés sont alors vues comme des garçons manqués, des empêcheuses de tourner en rond, une concurrence indésirable et une menace pour les hommes. En effet, le corps de la femme étant également performant, il constitue une transgression puisqu’il joue sur deux tableaux, à la fois corps féminin, symbole de la reproduction, et corps masculin, symbole de force. Cette dimension corporelle est majeure. Une femme performante, c’est-à-dire conforme au modèle de pratique masculine, est perçue comme peu féminine, mais les compétences sportives “féminines” sont déconsidérées lorsqu’elles sortent du modèle et des critères masculins. On comprend dès lors que concilier d’être à la fois féminine et performante relève d’un véritable challenge ! Challenge que plusieurs relèvent avec talent.

“Les femmes qui s’opposent ainsi aux préjugés sont alors vues comme des garçons manqués, des empêcheuses de tourner en rond, une concurrence indésirable et une menace pour les hommes”

La française Catherine Destivelle fait ainsi figure de modèle puisqu’à la fin des années 1980, elle est l’une des meilleures grimpeuses mondiales. En 1990, elle participe à des expéditions dans l’Himalaya et devient la première femme à gravir en hiver et en solitaire les trois grandes faces nord des Alpes. En 1994, Lynn Hill, grimpeuse américaine, réussit à enchaîner, et en moins de 24 heures, ce qu’aucun homme n’avait réussi, le Nose à El Capitan dans le Yosemite (USA). En 2010, Edurne Pasaban Lizarribar, une alpiniste basque espagnole, est la première femme à gravir les 14 sommets de plus de 8 000 mètres.

L’impossible devient possible. Leur point commun ? Toutes trois sont initiées dès leur plus jeune âge aux sports de montagne et à l’escalade. Une découverte familiale, transmise majoritairement par les pères et centrée sur les activités de montagne révèle, pour beaucoup de sportives de haut niveau, la construction d’un “habitus sportif” où s’incorporent des valeurs et dispositions sportives et montagnardes. Par ailleurs, la socialisation familiale égalitaire permet aux filles comme aux garçons de recevoir la même initiation, sans aucune discrimination. Pour d’autres femmes, l’initiation se fait plus tardivement, notamment par les pairs – souvent des hommes –, toujours inspirée par des modèles féminins. En effet, les hommes référents dans la profession de guide de haute montagne jouent un rôle majeur grâce à un regard bienveillant et sans jugement qui facilite ce choix identitaire.

Grandir dans un monde de mixité et de diversité estompe les barrières des hommes, mais aussi celles des femmes. Mais alors, quels sont les avantages à investir un monde d’hommes ? Peut-être simplement et fondamentalement, l’enrichissement personnel et collectif. En se débarrassant de l’image de “sexe faible”, on devient acteur de sa vie et de la société. Certaines pionnières ont fait fi de la femme objet, moins performante, moins capable. Certaines femmes se sont approprié la force, la vitesse, et non plus seulement la souplesse ou l’agilité. D’ailleurs dans le monde occidentalisé, le canon de la beauté féminine évolue vers un corps plus sculpté, plus musclé.

“Certaines femmes se sont approprié la force, la vitesse, et non plus seulement la souplesse ou l’agilité. D’ailleurs dans le monde occidentalisé, le canon de la beauté féminine évolue vers un corps plus sculpté, plus musclé”

L’idée que la femme puisse être meilleure dans un domaine particulier, avoir du génie, atteindre l’excellence, tant intellectuelle, artistique que sportive, s’inscrit dans l’évolution même du XXIe siècle. Atteindre les sommets, plus d’une y sont parvenues, et toutes en sont capables.

*En France, parmi les sportifs de haut niveau, on comptait 2 400 femmes contre 4 600 hommes. Source : enquête réalisée par Les Décodeurs en 2014

**Christine Mennesson and Romain Galissaire. Les femmes, guides de haute montagne : modes de socialisation et identités sexuées. Femmes et sports, Volume 17, numéro 1, 2004.

Source: lenouveleconomiste