Des marins expliquent comment survivre au confinement
Le confinement face à la pandémie de Covid-19 ressemble à un long périple à travers les océans. Les marins aguerris du quatre-mâts Kruzenshtern, l’un des trois voiliers-écoles russes qui se sont lancés dans le tour du monde des «Voiles de la paix», donnent leurs conseils «de survie» aux lecteurs de Sputnik.
Pour les marins du bateau-école Kruzenshtern, le mois d’avril 2020 s’est révélé être l’un des plus sombres qu’ils aient vécu depuis de nombreuses années. L’équipage et les cadets s’inquiètent pour leurs familles, qui comme des millions de Russes, passeront un mois entier à l’isolement.
Le confinement face au Covid-19 ressemble à une longue traversée loin de côtes: les marins sont constamment confrontés aux espaces clos, à l’impossibilité de voir leurs proches et à l’absence de certaines joies de la civilisation. Cette épreuve forge leur caractère, ils savent comment ne pas perdre courage et même tirer profit de cet enfermement.
Forts de cette expérience, des marins expérimentés du Kruzenshtern prodiguent leurs conseils pour temps de confinement aux lecteurs de Sputnik.
Puiser dans le meilleur de soi-même
Quand on demande à un marin entraîné une consigne à donner aux personnes en quarantaine, on s’attend à une technique vérifiée par des années de service. Mais la réponse de Vladislav Konovalov, quatrième mécanicien au Kruzenshtern avec ses 25 années de mer à bord du grand voilier, est toute simple:
«En quarantaine, comme dans toute situation difficile, une personne doit toujours rester bienveillante et ne pas perdre ses meilleures qualités humaines», assure Vladislav Konovalov.
Le mécanicien estime que pour les personnes qui se retrouvent isolées, «la situation peut être plus difficile que pour celles qui sont dans un environnement de travail». Arrivé à bord du Kruzenshtern comme simple matelot, après avoir gravi tous les échelons –charpentier, bosco–, Vladislav a su tourner à son profit les longs mois à bord: il a pu parfaire sa formation au Collège de pêche maritime de Kaliningrad et devenir l’un des dompteurs du moteur de navire.
«L’isolement est un bon moment pour lire de la littérature utile, assure Vladislav Konovalov. Savoir prendre du recul, faire des choses que l’on aime, jouer, tout ce qui peut distraire et apporter de la joie aide. Regardez de bons vieux films, soyez moins négatifs.»
«Les gens qui ne rient pas ne sont pas des gens sérieux», nous laisse en héritage l’écrivain Alphonse Allais. Et l’humour peut sauver des vies dans les situations difficiles.
Refuser l’oisiveté et ressouder les liens familiaux
Quand on interroge sur «le trait de caractère qu’il est préférable de développer» dans des conditions d’isolement prolongé, la réponse de Pavel Okolokulak, chef de quart du Kruzenshtern, est «l’endurance!» Non, non, pas lors de longues veilles à travers le brouillard des eaux inconnues, ni de gardes nocturnes par grosse mer…
«Il est très difficile de ne pas manger lorsque vous êtes dans un espace confiné, assure le navigateur. La main cherche constamment de la nourriture d’elle-même. Et comme à la maison, on ne se dépense pas trop, vous devez éduquer votre volonté», explique Pavel Okolokulak.
Mais le chef de quart est aussi de bon conseil dans la façon de tirer profit du confinement. «Se distraire de toutes les manières possibles» devient dans sa bouche «trouver une distraction utile», et en tête de cette liste de possibilités vient la lecture: «elle aide, car tout le monde a des livres qu’il voulait vraiment lire, mais n’a pas assez de temps pour ça. Voilà, maintenant, le moment est venu.» Mais la lecture ne devrait pas devenir prétexte à s’isoler encore plus.
«Si vous êtes avec votre famille, passez le plus de temps possible ensemble, insiste Pavel Okolokulak. Pas simplement sous le même toit, mais vraiment ensemble: jouez, cuisinez, montez des spectacles avec vos enfants. Il est clair que le confinement n’est pas ce dont nous rêvions, mais nous devrions utiliser ce temps au maximum.»
Sortir du confinement, un retour vers les «problèmes habituels»
Même ce n’est pas encore à l’ordre du jour, chacun se projette dans «le jour d’après», quand la question de «sortir du confinement» ne sera plus un problème sanitaire, mais aussi social et psychologique. Cela ressemble-t-il au retour d’un navire dans son port d’attache à la transition vers la vie à terre?
Vladislav Konovalov admet qu’«après de longs voyages en mer, il n’est pas facile de se reconstruire tout de suite». D’expérience, il sait que parfois, une personne est psychologiquement et physiquement incapable de passer instantanément d’un état à un autre, «donc une certaine période d’adaptation est nécessaire». La recette est toujours aussi simple: renouer des liens avec les petites choses de la vie.
«Ce qui aide le plus, c’est d’être avec sa famille et ses amis, vaquer à ses occupations préférées. Grâce à cela, vous vous impliquez progressivement dans la vie à terre avec ses problèmes habituels», assure Vladislav.
Le quatrième mécanicien a ses propres habitudes: après son retour de mer, il fusionne avec la nature, «que ce soit dans une datcha, près d’une rivière, au bord d’un lac ou lors d’une promenade en forêt.»
L’union avec la nature procure toujours des sentiments positifs et aide à rebondir», estime Vladislav Konovalov.
Mais une période de confinement donne également à réfléchir sur sa stratégie personnelle, de réévaluer son chemin, de voir sa vie et son métier sous un autre angle. Cela peut représenter un tournant et pousser à changer de destin.
Ne pas avoir peur de vivre un tournant
Sergei Oussankov, le commandant adjoint des affaires académiques depuis 20 ans à bord du Kruzenshtern, le plus proche des cadets, raconte en guise d’illustration son propre point de bascule: «Après 25 ans dans la marine, je me suis retrouvé pendant un certain temps au chômage. J’ai travaillé un peu comme chauffeur de taxi, puis comme jardinier. Et puis, comme je voulais me rapprocher de la mer, je me suis engagé au Centre d’enseignement professionnel de Baltiiski. Là, on m’a proposé de faire un tour du monde à bord du Kruzenshtern, c’est 14 mois. J’en ai parlé à ma femme, qui m’a rétorqué: «Pourquoi me demandes-tu, puisque tu as déjà tout décidé?» Alors, je suis parti. Et je m’y suis attaché. J’aime être ici.»
«L’essentiel est de comprendre que de changer quelque chose dans votre vie n’est pas si effrayant que ça, conseille Sergei Oussankov. Il est important de ne pas avoir peur de tenter et d’être ouvert à la nouveauté.»
Pour le commandant adjoint, «si vous voyez que vous êtes au mauvais endroit, vous ne ferez pas un bon spécialiste et surtout, vous ne serez pas heureux. Pourquoi choisir consciemment d’être malheureux?» s’interroge-t-il.
«Si vous comprenez que votre travail ne vous apporte pas de plaisir, vous devriez partir. Bien sûr, il y a des moments plus ou moins agréables dans n’importe quel travail. Mais il est important d’avoir conscience que vous êtes là où vous aimeriez d’être», conseille Sergei Oussankov.
Depuis le 4 avril dernier, le Kruzenshtern tient le cap vers le port de Novorossisk, en mer Noire. L’itinéraire de plus de 3.000 miles marins est très difficile: il faut traverser la Méditerranée, la mer Égée, la mer de Marmara et la mer Noire, en passant par trois détroits.
Source: Sputnik