Comment survivre en randonnée
Le 1er mars 2019, dans le comté de Humboldt en Californie, deux sœurs âgées de 5 et 8 ans sont allées se promener dans les bois attenants à leur propriété. Elles ne sont pas rentrées. Les équipes de secours les ont retrouvées 44 heures plus tard, recroquevillées sous un buisson d’airelles dans la forêt, grelottantes et déshydratées, mais sauves. Une nouvelle étude réalisée par SmokyMountains.com montre que ce risque ne concerne pas uniquement les enfants. D’après leur enquête, le fait de s’écarter du sentier est la première raison pour laquelle des adultes font appel aux équipes de secouristes, devant les blessures et le mauvais temps.
L’étude a analysé 103 faits-divers publiés ces 25 dernières années pour identifier les principales façons dont se perdent les adultes en Amérique du Nord pendant une randonnée dans les contrées sauvages, ce qu’ils ont fait pour survivre et comment ils ont réussi à s’en sortir. Sur l’ensemble des articles étudiés, la période de disparition était comprise entre une demi-journée et 90 jours. Pour 41 % des survivants, le périple a commencé lorsqu’ils se sont éloignés accidentellement du sentier. Pour 16 % d’entre eux, l’origine de leur déboire est une chute après laquelle ils n’ont pas réussi à regagner le sentier.
Il peut arriver à tout le monde de perdre le fil d’un sentier et on ne parle pas ici des personnes qui s’éloignent légèrement pour observer des fleurs de plus près ou pour dénicher l’angle photo parfait. Comme en témoigne Andrew Herrington, formateur en survie, ranger et meneur d’une équipe de recherche et sauvetage dans le parc national des monts Great Smoky, cela arrive également à des randonneurs aguerris et vigilants, la plupart du temps à ce qu’il appelle un point de décision sur la trajectoire du sentier. « Il peut prendre la forme d’un embranchement naturel ou d’un sentier tracé par les allées et venues des randonneurs pour profiter d’un panorama, » explique-t-il. Ou comme dans le cas de Sue Clements, une saignée qui ressemblait à un sentier, mais se transformait en un labyrinthe de végétation dense sur terrain accidenté. Âgée de 53 ans et originaire de l’Ohio, elle n’a pas survécu après s’être perdue dans le parc national des Great Smoky Mountains.
L’étude suggère par ailleurs que le groupe de randonneurs le plus vulnérable ne serait pas celui qui s’aventure le plus profondément dans la nature pour y passer plusieurs nuits en bivouac, mais plutôt les randonneurs de jour, comme Sue Clements, dont le corps a été retrouvé à environ trois kilomètres du parking du dôme Clingmans.
Dans l’étude, la source de chaleur la plus fréquemment mentionnée par les survivants était les vêtements (12 %). Leur forme d’abri favorite était du matériel de camping (11 %). La plupart des survivants avaient de l’eau, soit celle qu’ils avaient emportée (13 %) ou qu’ils ont pu trouver sur place (42 %), grâce à un lac, une crique, une mare voire en léchant les feuilles ou en aspirant l’humidité des mousses. (À lire aussi : Survie : comment trouver de l’eau et la rendre potable ?) À l’exception d’un survivant, aucun autre n’a disparu assez longtemps pour souffrir du manque de nourriture, mais 35 % d’entre eux disposaient d’aliments qu’ils pouvaient rationner pour se maintenir à un certain niveau d’énergie. Toutes ces statistiques suggèrent que la meilleure façon de survivre après s’être perdu dans un parc national est d’avoir sur soi de l’eau et de la nourriture ainsi que les vêtements et le matériel nécessaires pour se tenir chaud et s’abriter pendant la nuit.
Et comme le confirme Herrington, c’est bien là le problème avec les randonneurs qui partent pour la journée et ont plutôt tendance à emporter un appareil photo que des vêtements supplémentaires dans un sac à dos. « En partant équipé, si l’on se perd ou si l’on est surpris par le mauvais temps, on se dit que ce n’est qu’une nuit agitée à passer dehors avant de rentrer le ventre creux le lendemain. Pas de problème. Mais si vous êtes en pleine nature sans sac de couchage, sans tente ou sans vêtements supplémentaires pour passer la nuit dehors, vous serez beaucoup plus vulnérable, et en général c’est là que les ennuis commencent pour la plupart, » témoigne-t-il.
Et son expérience de travail dans les monts Great Smoky ne fait que le confirmer. « Sur la centaine de personnes secourues par an, environ 90 % sont des randonneurs de jour, » rapporte-t-il. Entre 2004 et 2014, sur l’ensemble des parcs nationaux américains, les randonneurs à la journée totalisaient 42 % des 46 609 interventions de recherche et sauvetage, près de quatre fois plus que le second groupe d’individus à 13 % : les randonneurs qui passent une nuit dans le parc.
Dans ses formations à la survie, Herrington conseille aux randonneurs d’emporter dans leur sac une veste chaude et un sac poubelle de 200 L pour s’abriter ou se protéger de la pluie, et ce, même dans les États où les températures sont douces. « Si vous êtes mouillé, parce qu’il pleut ou que vous êtes tombé à l’eau ou simplement à cause de la transpiration et qu’il fait 20 °C, vous risquez toujours l’hypothermie, » affirme Herrington. « Le Nouveau-Mexique est l’un des états où il y a le plus de morts par hypothermie et pourtant il y fait chaud. » Par ailleurs, une blessure amplifie le risque d’hypothermie en compromettant notre capacité à thermoréguler.
Réussir à convaincre les randonneurs de jour qu’ils encourent un risque et doivent prendre certaines précautions nécessite un changement de mentalité. Pour Harrison, la technologie rend difficile ce changement. Nous sommes tellement habitués à être guidés par un GPS que nous ne savons plus trouver notre chemin. Puisqu’ils sont dans un parc national, pas très loin d’un départ de sentier ou d’une boutique de souvenirs, les visiteurs pensent qu’il leur suffira d’appeler les secours qui dépêcheront immédiatement un hélicoptère sur les lieux pour les évacuer. « Ce n’est pas comme ça que ça marche, » déclare Herrington. « Si vous vous êtes égarés, il est fort possible que vous deviez passer la nuit dehors. » Les équipes de recherche et sauvetage ne veulent pas créer « d’accident pour un accident » en envoyant leurs équipiers hors des sentiers alors qu’il fait noir ou presque noir. Le protocole standard est d’attendre le matin suivant.
« Prenez un briquet entouré de scotch pour qu’il ne craigne pas l’eau et vous avez de quoi faire un feu. Et pour ce qui est de mourir de faim, ce n’est pas vraiment un problème pour les interventions de recherche et sauvetage. Même une personne maigre avec seulement 10 % de masse graisseuse a suffisamment en stock pour survivre environ un mois. »
Comme le souligne Harrison, la survie dans le monde réel est bien moins divertissante qu’à la télévision. La meilleure chose à faire pour un randonneur ? Que ce soit pour une sortie de plusieurs jours, d’une seule journée ou même pour un footing sur sentier, laissez votre parcours à au moins deux personnes qui s’apercevront que vous n’êtes pas rentré.
Source: nationalgeographic