Comment survivre en mer
Le pêcheur salvadorien José Alvarenga a-t-il vraiment dérivé plus d’un an à travers le Pacifique? Mystère. Pour les scientifiques, survivre aussi longtemps en mer exige en tout cas de nombreuses qualités. José Alvarenga a raconté comment il a survécu pendant plus de quatre cents jours en dérivant près de 12.500 km dans l’océan Pacifique. Psychologiquement faible, mais sans troubles cardiovasculaires ou rénaux d’après les premiers examens médicaux, il a regagné le Salvador mercredi (Reuters)
1. Dix-huit heures dans l’eau à 15°C, un exploit
José Alvarenga a-t-il pu survivre treize mois en buvant du sang de tortue, de l’eau de pluie et de l’urine, et en se nourrissant d’oiseaux et de poissons? C’est ce qu’a raconté ce pêcheur salvadorien de 37 ans, parti fin 2012 du Mexique, et qui aurait dérivé 12.500 km dans le Pacifique jusqu’aux îles Marshall, où il est arrivé le 30 janvier. Son compagnon de 23 ans, Xiquel, n’aurait tenu qu’un mois. Les précédents sont loin de ces records : neuf mois pour trois pêcheurs mexicains en 2006 ; cent dix-huit jours pour le pêcheur tahitien Tavae en 2002 ; soixante-cinq jours dans l’Atlantique pour Alain Bombard, médecin porté « naufragé volontaire » en 1952… Face à ce rescapé de plus de quatre cents jours, dont le physique semble peu altéré, les spécialistes sont sceptiques et prudents. « Ce serait extraordinaire. Mais on a déjà vu, chez des pêcheurs bretons, des capacités de survie plus fortes que la moyenne! », relève le Dr Mathieu Coulange, urgentiste et docteur en physiologie appliquée aux conditions extrêmes à l’hôpital Sainte-Marguerite, à Marseille.
Si les militaires testent la résistance humaine (fatigue, faim, soif, immersion), « l’expérience de Bombard, décriée à l’époque, reste une base scientifique passionnante en techniques de survie », selon le Dr Coulange. La plupart des connaissances, issues des récits de naufragés ou sauveteurs, ont été récemment réévaluées par l’Institut de recherche biomédicale des armées, à la demande du CrossMed, qui coordonne le secours en mer Méditerranée. Pour savoir combien de temps rechercher les naufragés, ils ont comparé ces données à un modèle mathématique intégrant température de l’eau, âge, poids et sexe de ceux-ci. Conclusion : le premier facteur mortel étant l’hypothermie, « immergés dans une eau à 15 °C, 50 %, des gens meurent au bout de six heures. Après dix-huit heures, on n’a presque aucune chance. Entraîné et adapté, c’est trois jours maximum ».
2. Le jus de poisson mieux que l’urine
Sur un bateau, le risque numéro un est la déshydratation. Des troubles de la conscience surgissent dès le troisième jour sans eau. Après cinq à sept jours, c’est la mort. « Avec une déshydratation de 2% (soit 1,5 litre d’eau perdue), vos capacités physiques et mentales baissent de 20 %. Avec 4 %, c’est 40 % », note le Dr Jean-Yves Chauve, médecin des skippers du Vendée Globe depuis 1989. Et boire de l’eau de mer aggrave la déshydratation : pour diminuer la teneur en sel dans le sang et garder l’équilibre osmotique, nos cellules se déchargent de leur eau. « Cela peut toutefois retarder la phase de coma de vingt-quatre à quarante-huit heures si on en boit peu ou qu’on la dilue avec de la pluie ou du jus de poisson », note Mathieu Coulange. « On récupère 200 à 500 cl en pressant 2 kg de poissons, constitués à 70 % d’eau douce. Mais s’il fait 30 °C, il faut 3 litres par jour! » Boire son urine ? Elle se charge vite en toxines, et moins on boit moins on urine… Mieux vaut se rafraîchir en s’humectant, désaliniser ou capter l’eau par condensation.
Sans hydratation, il ne faut pas se nourrir. « Assimiler une calorie exige 1 cm³ d’eau », selon Jean-Yves Chauve. « Or on tient jusqu’à cinquante jours sans manger. L’organisme peut puiser 100.000 à 150.000 calories dans son garde-manger. » Bombard et Tavae avaient ainsi perdu près de 25 kg. Sous une barque, un écosystème se développe qui attire la faune pélagique. Ainsi José Alvarenga a-t-il attrapé poissons, tortues et oiseaux… Mais ce régime 100 % protéiné provoque de graves carences, une fonte musculaire et un affaiblissement. « Le corps a besoin de sucres, surtout les neurones. C’est 65 % d’une ration. » Autre élément introuvable : la vitamine C. D’où les ravages du scorbut au temps de Christophe Colomb, et aujourd’hui des dents déchaussées, des maux de tête… Et les algues ? Elles n’apportent qu’une calorie pour 100 g.
3. Un « truc » : lutter contre la monotonie
Alain Bombard l’a montré, un naufragé meurt souvent de désespoir. Le Dr Coulange l’observe lors de ses formations aux secouristes de la sécurité civile : « Si vous placez cinq personnes sur un canot, un meneur émerge qui organise la survie. D’autres entrent en passivité, et c’est la catastrophe. Même avec de quoi s’alimenter, être seul en mer peut générer des troubles hallucinatoires. » Et ceux qui paniquent meurent en premier, ajoute Jean-Yves Chauve : « Les gens modestes et moins éduqués se projettent moins et survivent mieux. » Parmi les « trucs » des survivants, garder la notion du temps et lutter contre la monotonie. Les kits de survie incluent ainsi un désalinisateur manuel, qui a l’avantage d’occuper et de responsabiliser le naufragé. Gérard d’Aboville, pour sa traversée du Pacifique en cent trente jours à la rame, s’organisait avec des horaires plus draconiens qu’au bureau ! Selon le Dr Chauve, « être actif et positif en se donnant des objectifs accessibles et à court terme, c’est la clé. Il faut oublier la terre ». Dans tous les cas, avoir lu des récits de survivants aide à tenir. Celui de José aura au moins ce mérite…
Source: Juliette Demey – Le Journal du Dimanche