Cette jeunesse française qui veut quitter la France pour Dubai
Difficultés à trouver un emploi, stigmatisation liée à leur religion?: de plus en plus de jeunes Français, souvent bac + 5, songent à s’installer à Dubai. De nombreux français déménagent selon les chiffres officiels. Et déménager, ça se prépare un minimum. D’ailleurs, nous vous invitons à lire les 25 solutions pour louer un camion de déménagement pour cela.
Elle donne rendez-vous au pied des tours de la Défense. Dans ses yeux miroitent celles de Dubai. cette jeune française d’origine maghrebine de 31 ans, titulaire d’un master en langues et d’un autre en business et stratégie, a achevé il y a peu un contrat de deux ans dans une grande banque. Elle est partie dans la foulée en repérage dans le Golfe, son « rêve américain ». C’était en janvier, la semaine des attentats. « Quand j’ai vu ça, je me suis dit que ça allait être dur pour nous, les musulmans… Ça m’a donné le cafard. » Dubai est, plus que jamais, une manière de se « fondre dans la masse », mais aussi « d’accélérer sa carrière ». « Ici, on n’a pas le droit d’oser, on n’est pas valorisé. En France, on est issu de l’immigration, alors que là-bas, on a la French touch! On a une double culture avec l’école de la République et pour moi le Maroc à la maison, sur les chaînes de télévision. On est né pour s’adapter. Là-bas, on a le profil idéal.
Pour boucler son projet, elle s’est rendue samedi dernier à une journée d’information organisée par l’association Hégire – pour « hijra » ou « exil » en arabe. Le restaurant de Saint-Denis (Seine-Saint-Denis) a fait salle comble : plus de 50 participants. « Depuis quelques mois, de plus en plus de jeunes nous contactent, confirme Khaled Boudemagh, responsable de la structure. On sent un ras-le-bol sur la discrimination, la stigmatisation. A Dubai, il y a moins de pression. On ne vit pas caché, et on pratique beaucoup plus librement notre religion. »
Fuir une conjoncture économique difficile et un climat tendu, briser le plafond de verre… Ce désir d’ailleurs diffère de l’alya des Juifs qui mettent le cap vers Israël. Il illustre surtout les doutes d’une génération balançant entre deux rives. En bons enfants de la mondialisation, ces bac +5, diplômés d’écoles de commerce ou d’ingénieurs, rêvent d’en faire un pont. Les pays anglo-saxons ne les intéressent guère ; leurs regards se tournent naturellement vers les Émirats arabes unis et notamment Dubai, qui accueille 15.000 Français, ou vers le Qatar, en plein essor économique.
« Avoir deux cultures peut être un levier »
Calepin en main, elle ne perd pas une miette de la discussion. Sa feuille de route est millimétrée : quitter Sevran (Seine-Saint-Denis), se faire embaucher sur place par une société idéalement française, mettre de l’argent de côté et revenir pour créer son entreprise, afin de « remercier ». « La France m’a éduquée. Je veux apporter ma pierre à l’édifice, prouver que la République a fait quelque chose de ses enfants issus de l’immigration. Les petits sont très négatifs. Il faut leur donner envie de rêver, leur montrer qu’on peut être maghrébin et réussir! »
A la table d’à côté, Mohammed, 24 ans, originaire de Roubaix (Nord), fraîchement diplômé d’une école d’ingénieurs, conte les remarques entendues pendant ses stages. « Tu jeûnes? T’es un extrémiste! », « Salut couscous »… Passé l’humiliation, son envie de réussir ne s’est pas estompée. Au contraire. « Petit, je n’ai pas toujours mangé à ma faim… Dubai, c’est mon objectif. Les salaires sont doubles ou triples! » Diplômé d’une école de commerce grenobloise, embauché dans un grand cabinet de conseil, Abdelkarim confirme : « La gueule de l’emploi, ça existe. Il y a de la méfiance vis-à-vis des communautés, la vie est lourde. Je veux partir pour changer d’air. » Prochaine étape, des vacances en immersion, puis démarcher sur des salons professionnels. « J’ai une culture française et une seconde culture maghrébine, tunisienne, confie le jeune homme de 25 ans. Je pense que ça peut être un levier. »
Mohammed et Abdelkarim mettront néanmoins les voiles en connaissance de cause : Khaled Boudemagh ne laisse fermenter aucune illusion sur la vie chère, l’absence de sécurité de l’emploi, la concurrence internationale, le fantasme de l’eldorado. « Comptez au moins 700 euros par mois pour une chambre en colocation et n’acceptez pas de salaires trop bas », en dessous de 2.000 euros net. En creux apparaissent aussi des interrogations sur la prière, le port du voile ou la barbe en entreprise. « Vous serez déçus si vous cherchez une pratique très rigoureuse, prévient Samy, trentenaire expatrié à Dubai. Même s’il y a des mosquées partout et qu’on ne travaille pas le jour de l’Aïd. De plus, les entreprises françaises sur place adoptent la même politique que dans l’Hexagone. » Mohammed l’a compris : Dubai n’est pas un « paradis islamique ». Qu’importe, il compte n’y faire qu’un passage. « Je suis parti en Turquie sept mois. Au bout d’un moment, j’ai eu envie de rentrer chez moi, la France. C’est important, le rapport au sol. »