Ces femmes engagées aux Emirats arabes unis
Le Forum international Les renouveaux du monde arabe se tiendra les 15 et 16 janvier, à Paris. Il donnera la parole à des femmes engagées qui s’imposent. Madame Figaro a rencontré ces pionnières, actrices d’une révolution en marche.
C’est un petit musée, dédié aux femmes des Émirats arabes unis. Il est situé à Dubai, dans le quartier de l’or, au fond d’une ruelle, abrité dans une maison de trois étages que Rafia Obaid Ghubash, psychiatre et ancienne doyenne de la faculté de médecine de l’université des Émirats, a achetée en 2009. Cinq ans et trois millions de dollars plus tard, elle y ouvrait son musée en hommage aux pionnières, à celles qui, au siècle dernier, faisaient du commerce avec les Indes, exerçaient la médecine traditionnelle, excellaient dans la poésie, se battaient contre les Anglais. « Je n’ai jamais rencontré de femmes aussi fortes qu’à Dubai, témoigne la propriétaire des lieux dans une longue enquête qui leur a été consacrée (1). Cette terre de beauté, de souffrance, de dunes de sable a-t-elle contribué à former leur caractère ? Est-ce parce que les hommes partaient travailler à l’étranger, ou s’absentaient six mois pour aller pêcher les perles ? Depuis longtemps, les femmes ici ont appris à être totalement autonomes. »
Une confrontation entre tradition et modernité
Elles n’ont donc pas attendu 1971, l’année de l’indépendance et de la création de la fédération des Émirats arabes unis sur quelque 80 000 kilomètres carrés, pour donner de la voix ; ni le miracle pétrolier de la fin des années 1960, qui a permis de transformer leur terre en paradis du luxe, de la consommation, de la finance, abritant désormais les plus hauts buildings qui ne s’éteignent jamais, les plus grands malls, les plus grosses fortunes. « Les femmes ont toujours été très influentes au sein de la famille, de la tribu, et maintenant elles le deviennent au sein de la société », constate François-Aïssa Touazi, ancien conseiller Moyen-Orient au ministère des Affaires étrangères. « Il faut leur laisser du temps, elles vont nous surprendre (2) » .
Elles ont déjà commencé. C’est la raison pour laquelle le Forum international « Les renouveaux du monde arabe », organisé par l’Institut du monde arabe, à Paris, en partenariat avec Thinkers and Doers, les 15 et 16 janvier, en compte parmi ses orateurs (voir encadrés p. 49), pour parler de l’importance de l’éducation, de l’art, de la création d’entreprises. Mais surtout pour raconter la manière dont les femmes peuvent devenir les architectes de leur futur dans ces États nouveaux, puissants, où l’espérance de vie en quatre décennies a augmenté de vingt ans, où tradition et modernité s’affrontent, immensément riches et néanmoins fragiles, notamment face aux géants voisins, l’Arabie saoudite ou l’Iran.
L’éducation des filles, la clé de l’avenir
Architectes de leur présent, certaines le sont déjà. Ainsi, Hissa Al Dhaheri, diplômée de l’université Zayed d’Abu Dhabi et de celle d’Exeter en Angleterre, ancienne journaliste, est le chef de projet du Louvre Abu Dhabi, qui ouvrira en 2015. Salama Al Shamsi est à la tête du Zayed National Museum. Son Excellence Hoda Kanoo dirige la Abu Dhabi Music and Arts Foundation, qu’elle a fondée en 1996. « C’est par l’art que nous allons faire évoluer les mentalités », explique-t-elle dans un parfait français.
Née au Liban d’une mère syrienne et d’un père saoudien homme d’affaires, S. E. Hoda Kanoo a étudié l’histoire de l’art à Paris. Dans sa maison de pierres ocre située dans le centre d’Abu Dhabi résonnent ce jour-là des cantates de Bach. Le mobilier est une sorte de sabir, composé de meubles syriens incrustés de nacre, de fauteuils Napoléon III recouverts de velours vert, de guéridons Louis-Philippe chargés de livres d’art. Elle apparaît vêtue d’une robe de soie rose pâle et chaussée de pantoufles blanches rehaussées d’un pompon à plumes, comme une héroïne hollywoodienne d’un film de George Cukor. « J’ai passé mon enfance à Beyrouth, raconte-t-elle d’une voix douce, dans une famille joyeuse et aimante, dont ma mère était le roc. Dès que je me décourage, je pense à elle, et je m’interdis de baisser les bras. » Elle s’inquiète auprès de son assistante : « Comment était la remise des prix ? » Une heure plus tôt, en effet, le ministre de la Culture d’Abu Dhabi décernait un diplôme à onze garçons et à autant de filles au terme d’une formation de neuf mois dans les secteurs de l’information, du cinéma, de la presse. « C’est par l’art, mais aussi par l’éducation que nous avançons, poursuit-elle. C’est l’éducation qui donne confiance aux femmes et leur permet de se convaincre que tout leur est possible à condition de le vouloir. » Son héroïne ? Cheikha Fatima, épouse de Cheikh Zayed, fondateur et premier Président de la fédération des Émirats arabes unis. « C’est elle qui a voulu que les filles aillent à l’école, martèle S. E. Hoda. Elle répétait que si la mère, celle qui fabrique les générations à venir, n’est pas éduquée, elle ne pourrait former les forces vives de demain. »
Les femmes sont avocates, sopranos, stylistes…
Lorsque la fédération est née, en 1971, le taux d’analphabétisme était de 85 % chez les femmes. Aujourd’hui, 98 % des filles vont à l’école. Encouragées par les autorités, elles ont eu accès à l’éducation, quitté les madrasa, où l’apprentissage était uniquement fondé sur le Coran et les principes de l’islam, pour aller à l’école apprendre les sciences, l’histoire et les mathématiques. Elles sont 72 % à fréquenter les universités, trois fois plus présentes que les garçons. 25 % des députés sont des femmes.
Progressivement, les femmes émiriennes ont avancé sur tous les territoires. Elles sont avocates, sopranos, stylistes, et même pilote de F16, raconte la journaliste franco-suisse Kyra Dupont dans son livre Perles des Émirats (cité plus haut). Sans jamais se dire féministes, sans avancer en force, mais plutôt en alliant convictions profondes et realpolitik. Installée à Dubai, la journaliste a enquêté pendant trois années avec une question centrale en tête : « Qui sont-elles vraiment derrière le voile ? » Comment, en effet, expliquer que ces femmes qui ont voyagé, étudié à l’étranger, qui ont aujourd’hui des responsabilités, continuent de porter l’abaya, robe noire qui recouvre les vêtements ? Comment décrypter leur place dans une société à la culture bédouine, musulmane, patriarcale, et propulsée en moins d’un demi-siècle d’une vie de village à la globalisation (elles y représentent 50 % de la force de travail) ?
« J’ai mis longtemps à comprendre que le voile ici n’était plus un sujet tel que nous l’entendions, répond Kyra Dupont, qu’il fallait dépasser cette question, que mettre l’abaya était un moyen de signifier son appartenance culturelle. Il n’y a pas que l’aspect religieux dans ce vêtement, plutôt une volonté de rester proche de racines dont les femmes ici sont très fières tout en gardant la possibilité d’être belles. Ces robes noires, parfois ornées de fils d’or ou de perles, peuvent être aussi très séduisantes », poursuit la journaliste. C’est donc dans le calme, la modestie, mais aussi l’audace et la détermination que certaines ont pris leur destin en main. « Il faut être patiente quand on est une femme ici, conclut S. E. Hoda Kanoo : l’homme est demeuré un lion, nous devons rester rusées pour trouver notre place. »
(1) Perles des Émirats, de Kyra Dupont, éditions du Moment. (2) Le ciel est leur limite, de François-Aïssa Touazi, éditions du Moment.
Source: Madame le Figaro