L’Arabie saoudite veut investir dans la création

Riyad entend investir dans la création. Une question d’image de marque.

L’Arabie saoudite va ouvrir un Complexe royal des arts et une Cité des médias pour soutenir les créateurs saoudiens. L’annonce a créé la surprise dans la mesure où ce pays, qui applique une version rigoriste de l’islam, ne compte ni cinéma ni théâtre.

Ces deux initiatives font partie du Programme de transition nationale, dévoilé mardi. Soit 453 mesures concrètes pour restructurer l’économie nationale, avec pour objectif de réduire substantiellement sa dépendance au pétrole d’ici cinq ans. C’est l’un des volets du plan « Vision saoudienne à l’horizon 2030 » présenté en avril.

Riyad promet de créer quelque 16 000 emplois dans le secteur des médias sur… 450 000 prévus au total dans le secteur privé. Ces quelques pour-cent symboliques tendent à prouver que ces volets artistique et médiatique constituent davantage une opération de communication destinée à montrer au monde que le royaume wahhabite, qui fait l’objet d’un incessant « bashing » (dénigrement) dans les médias, évolue avec son temps.

« Améliorer son image de marque »

« Au-delà de sa diversification économique, on peut supputer que l’Arabie saoudite cherche à renforcer son soft power en investissant dans l’art », estime Karim Emile Bitar, directeur de recherche à l’Iris (Paris) et spécialiste du Moyen-Orient. « C’est une manière d’améliorer son image de marque en suivant les traces du Qatar et des Emirats arabes unis qui font cela depuis très longtemps. »

La scène artistique attire de plus en plus la jeunesse saoudienne. Traditionnellement tournée vers la littérature et la poésie en raison de l’interdiction islamique de la représentation humaine, elle évolue vers le monde de l’image. Des artistes saoudiens émergent sur la scène internationale et y sont récompensés. La cinéaste Haifaa al Mansour avait vu, il y a deux ans, son film « Wadjda » être nommé à l’Oscar du meilleur film en langue étrangère. Le photographe et vidéaste Ahmed Mater, dont les œuvres interrogent les esthétiques islamiques à l’ère de la globalisation et de consommation, est devenu en mars le premier artiste contemporain saoudien à exposer en solo aux Etats-Unis.

Des artistes, des ennuis

« La carte artistique peut se révéler une arme à double tranchant qui risque de placer très vite l’Arabie saoudite face à ses propres contradictions », souligne M. Bitar, dans la mesure où la créativité, qui s’abreuve à la liberté d’expression, risque de ne pas faire bon ménage avec la charia appliquée par l’Etat saoudien.

Pour preuve, des artistes saoudiens se sont attiré bien des ennuis. C’est le cas du poète Achraf Fayad, qui avait représenté son pays à la Biennale de Venise en 2013. Il a été condamné à mort l’an dernier pour apostasie, la justice ayant considéré que ses écrits encourageaient l’athéisme chez les jeunes. Sa peine capitale a été commuée en février à huit ans de prison et 800 coups de fouet. Et côté médias, le blogueur Raif Badaoui purge une peine de 10 ans de prison et 1000 coups de fouet pour avoir publié des opinions politiques libérales.

Source: LaLibre.be